CHAPITRE VINGT-DEUX

C'était la première visite d'Honor au central opérationnel et la taille du dispositif l'impressionna. Il régnait dans la salle de détection un brouhaha stupéfiant; quant aux sonneries stridentes des communications prioritaires et au cliquetis des imprimantes, Nimitz en fut plus qu'étonné. Il se dressa sur les épaules d'Honor, les oreilles à demi couchées, pour émettre un « blic de protestation aigu qui trancha sur le bruit ambiant.

Des têtes se tournèrent dans l'immense salle et Honor se sentit marquée au fer rouge par la laideur de son visage. À son côté, le capitaine Brentworth se hérissa et fit un pas en avant, rendant son regard à chacun, quel que soit son rang, mais elle l'arrêta d'un geste imperceptible. Ces regards étaient certes curieux, choqués, voire dégoûtés, mais aucun ne se voulait grossier et la, plupart des observateurs rougissaient et détournaient les yeux presque aussi vite qu'ils s'étaient tournés vers elle.

Le commodore Brentworth attendait sa visite. Il sortit de la foule et lui offrit sa main avec une infime hésitation.

« Je suis le commodore Walter Brentworth, capitaine », dit-il. Et s'il avait hésité en lui tendant la main, il ne sourcilla pas en mentionnant son titre. « Bienvenue au central opérationnel.

— .Merci, commodore », répondit-elle aussi distinctement que possible. Elle s'était durement entraînée pour maîtriser ses lèvres raidies mais le regard du Graysonien vacilla parce qu'elle n'arrivait pas à parfaitement articuler. Il aurait voulu regarder le côté mutilé de son visage, elle le savait, mais il se maîtrisa résolument.

« Voici mes officiers, poursuivit-elle. Capitaine de frégate Truman, de l'Apollon, et capitaine de frégate McKeon, du Troubadour. Je crois que vous connaissez déjà le capitaine Brentworth », ajouta-t-elle tandis que le coin mobile de sa bouche se déformait légèrement pour esquisser un sourire.

« Je crois, en effet. Le commodore lui sourit puis eut un signe de tête à l'adresse de son fils. Il serra ensuite la main à Truman et McKeon avant de se retourner vers Horion « Capitaine, commença-t-il, permettez-moi de vous présenter nos excuses pour...

— Pas besoin d'excuses, commodore l'interrompit-elle, mais celui-ci partageait clairement l'intégrité têtue de son fils. Comme il semblait sur le point de la contredire, elle poursuivit en utilisant les phrases courtes que lui imposait son élocution difficile. « Nous venons de milieux très différents. Les frictions étaient inévitables. L'important c'est de veiller à ce qu'il n'y en ait plus. »

Il leva les yeux vers elle et les laissa enfin se poser franchement sur son visage enflé, paralysé. Puis il hocha lentement la tête.

« Vous avez raison, capitaine, fit-il en souriant. Mark m'avait dit que vous aviez la tête sur les épaules et j'ai toujours eu une immense confiance en son jugement.

— Tant mieux parce que moi aussi », répondit fermement Honor. Le capitaine s'empourpra et son père gloussa avant de faire signe aux Manticoriens de le suivre.

« Laissez-moi vous escorter jusqu'à l'amiral Garret, capitaine. » Il y avait comme de l'amusement dans sa voix. « Je crois qu'il vous attend avec une certaine impatience. »

L'amiral Léon Garret avait le visage anguleux et des yeux aux paupières tombantes qui se fixèrent sur Honor avec une fascination hypnotique tandis qu'elle pénétrait dans la salle de conférence. Cette fascination s'étendait également à Nimitz, et Honor se demanda lequel des deux il trouvait le plus bizarre : l'espèce d'animal à six pattes qui s'était révélé si dangereux ou la femme en uniforme de commandant ?

Il se leva à son approche mais ne lui tendit pas la main. Si sa confusion avait été moins visible, elle aurait pu l'interpréter comme une insulte. En l'occurrence, et malgré la gravité de la situation, l'expression de l'amiral faillit lui faire commettre un impair : un gloussement peu approprié lui monta dans la gorge et elle ne l'étouffa qu'avec difficulté pendant que le commodore Brentworth la présentait au petit groupe que formaient Garret et ses officiers.

L'homme qui se trouvait à la droite de l'amiral avait déjà retenu son attention. Il portait l'uniforme de commodore mais l'insigne à son col le désignait comme amiral; elle ne s'étonna donc pas lorsqu'il lui fut présenté comme étant l'amiral Wesley Matthews. Elle le jaugea soigneusement, sans se montrer grossière mais sans faire le moindre effort pour dissimuler son évaluation borgne; il redressa les épaules et lui rendit un regard franc.

Elle aima ce qu'elle vit. Matthews était petit, même pour un Graysonien, trapu et solide; il avait le visage intelligent et expressif, et ses yeux noisette ne trahissaient aucun sexisme. Elle se souvint des propos de Lord Mayhew et décida qu'il avait raison. Elle n'aurait aucun mal à travailler avec cet homme.

– Merci d'être venue, euh... capitaine Harrington. » Garret rougit en butant sur son titre, puis il désigna les chaises qui se trouvaient de l'autre côté de la table de conférence et poursuivit plus naturellement : « Veuillez vous asseoir.

— Merci amiral. » Elle prit place, suivie de ses subordonnés. Elle sentit la queue de Nimitz bouger dans son dos, mais il savait qu'il devait surveiller ses manières. Elle le souleva pour l'asseoir à côté du sous-main, devant elle, tout en remarquant la façon dont les officiers graysoniens le regardaient se mouvoir. Ils avaient manifestement été impressionnés par le film de ses exploits sanglants; quelques-uns semblaient même mal à l'aise. Difficile de leur en vouloir : même chez les Manticoriens, peu de gens se rendaient compte du danger qu'un chat sylvestre pouvait représenter lorsque son partenaire humain ou lui-même étaient menacés.

« Oui, bon. » Garret s'éclaircit la gorge. « Comme vous le savez, capitaine (cette fois il lui donna son titre sans hésiter), le comm... l'amiral Matthews a été placé à la tête de nos unités mobiles. J'ai cru comprendre que vous jugiez plus avantageux de les employer dans le cadre d'une défense avancée, avec vos vaisseaux, plutôt que sur une position orbitale. »

Il cachait assez bien la déception qu'il devait ressentir puisque l'option orbitale était son idée, se dit Honor dans un accès de sympathie  inattendu.

– Oui, monsieur. En effet. » Cette sympathie l'aida à garder une voix neutre, sans trace d'autosatisfaction. «Nous estimons à cette heure que deux croiseurs havriens, l'un lourd et l'autre soutiennent Masada. Si c'est le cas, mon escadre devrait être capable de les affronter sans l'aide de vos défenses orbitales. De plus, les Masadiens se sont servis d'armes nucléaires contre des cibles planétaires il y a trente-cinq ans et ils ont plusieurs fois depuis affirmé leur détermination à recommencer. Maintenant que "Maccabée" a échoué, nous devons supposer qu'ils vont tenir parole. Dans ces conditions, je crois que nous devons les arrêter aussi loin de Grayson que possible.

– Mais si vous vous déployez au mauvais endroit, fit tranquillement l'un des officiers de Garret, ils pourraient vous passer librement et attaquer malgré tout. Or si vos navires sont loin, nos propres systèmes de défense ont peu de chances d'arrêter des ogives dotées d'assistants de pénétration modernes, capitaine.

– Je suis sûr que le capitaine y a déjà pensé, capitaine», intervint Garret, mal à l'aise. De toute évidence, le Protecteur Benjamin avait eu une longue conversation avec lui, mais Honor se contenta de hocher la tête car la réflexion de Calgary était intelligente.

– Vous avez raison, capitaine. Mais d'autres éléments viennent compenser ce problème. » Elle s'exprimait fermement pour minimiser sa mauvaise élocution. Ils savent où Grayson se trouve. Si leur but est simplement de bombarder, ils peuvent lancer leurs missiles de très loin à une vélocité proche de celle de la lumière. Une fois leur propulsion éteinte, même nos capteurs auront du mal à les localiser en défense active. Mes vaisseaux pourraient en intercepter la plupart, mais nous parlons de têtes nucléaires : nous devons toutes les détruire. Or nous avons beaucoup plus de chances d'y parvenir tant qu'elles sont en phase de propulsion. »

Calgary acquiesça : il comprenait. Honor poursuivit.

– Certes, en nous éloignant de Grayson nous augmentons la menace potentielle. Toutefois, nous disposons d'avantages techniques dont nous pensons que Havre n'a pas connaissance. »

Un frisson parcourut les Graysoniens, et elle sentit la désapprobation de Truman à ses côtés. Ce qu'elle se proposait de décrire aux Graysoniens figurait encore sur la liste des secrets officiels et Truman s'était opposée à sa révélation. D'un autre côté - même Alice avait dû l'admettre - l'escadre manticorienne n'avait pas d'autre choix que d'utiliser cette technologie et devait donc en parler à ses alliés.

– Des avantages, capitaine ? demanda Garret.

— Oui, monsieur. Le capitaine de frégate McKeon est notre expert sur ce système, alors je vais lui laisser le soin de vous expliquer. Capitaine ?

— Oui, commandant. » Alistair McKeon se tourna vers les officiers graysoniens. Ce à quoi le capitaine Harrington fait référence, messieurs, est un tout nouveau drone de reconnaissance. Les DR ont toujours joué un grand rôle dans notre doctrine de défense, mais comme tout système de surveillance la vitesse de transmission des données a toujours limité l'enveloppe temporelle portée/réponse. En fait, un DR peut nous prévenir que quelqu'un arrive, mais si nous sommes trop éloignés de lui, nous ne pouvons pas répondre à temps. »

Il s'arrêta et plusieurs hommes hochèrent la tête.

– Toutefois nos ingénieurs de recherche et développement ont travaillé sur une nouvelle approche et, pour la première fois, nous disposons d'une capacité limitée de transmission supraluminique.

— Une transmission supraluminique ? » s'exclama Calgary, et il était loin d'être le seul ébahi : cela faisait deux mille ans que l'humanité essayait d'envoyer des informations plus vite que la lumière.

– Oui, monsieur. Sa portée demeure trop limitée pour avoir des applications autres que tactiques - notre rayon de transmission optimal atteint à peine quatre heures-lumière pour l'instant - mais cela suffit à nous donner un avantage certain.

— Excusez-moi, capitaine McKeon, fit l'amiral Matthews, mais comment ça marche ? Enfin, ajouta-t-il en regardant Honor, si vous pouvez nous le dire sans compromettre votre propre sécurité.

— Nous préférerions ne pas entrer dans les détails, amiral, répondit Honor. Moins pour des raisons de sécurité que parce que l'explication serait beaucoup trop technique pour être rapide.

— Et parce que c'est sans doute trop technique pour que nos ingénieurs le dupliquent même si nous comprenions l'explication », ajouta Matthews avec un sourire ironique.

Honor fut épouvantée par cette remarque mais des rires étouffés secouèrent les hommes de l'autre côté de la table. Elle avait craint de froisser des susceptibilités en affichant la supériorité technique de ses navires, mais Matthews avait l'air de mieux comprendre ses hommes qu'elle. Peut-être était-ce sa façon de lui dire qu'elle ne devait pas s'inquiéter.

– Je suppose en effet, monsieur, dit-elle en souriant du côté droit de sa bouche. Du moins jusqu'à ce que nous vous donnions la technologie des molcyrcs et des vases de fusion haute densité. Bien sûr (son sourire s'élargit), une fois le traité signé, votre flotte va devenir beaucoup plus redoutable en tous points. »

Les rires des Graysoniens se firent plus sonores cette fois, se teintant même d'un certain soulagement. Elle espérait qu'ils ne s'attendaient pas à la voir sortir une arme divine de son sac à malices technologique, mais tout ce qui pouvait leur remonter le moral dans l'instant valait le coup. Elle fit signe à Alistair de continuer.

« Sur le principe, amiral, c'est un retour au bon vieux langage morse. Nos drones de reconnaissance nouvelle génération sont équipés d'un générateur de gravité supplémentaire qui leur permet de créer des impulsions directionnelles extrêmement puissantes. Puisque nos détecteurs gravitiques sont supraluminiques, nous obtenons de fait une réception en temps réel sur leur portée maximale.

— C'est génial », murmura un capitaine qui portait l'insigne des chantiers navals. Puis il fronça les sourcils. Et très compliqué, j'imagine.

— Oh oui, fit McKeon avec chaleur. Les besoins énergétiques sont énormes : nos ingénieurs ont dû développer toute une nouvelle génération de centrales de fusion pour les satisfaire, et ce n'était que le premier problème. Il a ensuite fallu concevoir un générateur d'impulsions gravitiques et l'intégrer au corps du drone. Comme vous pouvez sans doute l'imaginer, ce générateur pèse beaucoup plus lourd qu'une unité de propulsion et sa conception s'est révélée très problématique. Et puis le système comporte quelques limitations essentielles. D'abord, pour ne pas griller, le générateur a besoin de temps entre chaque impulsion, ce qui limite terriblement la vitesse de transmission de l'information. Pour l'instant nous ne parvenons à obtenir qu'une impulsion toutes les neuf virgule cinq secondes. À une fréquence pareille, ça va nous prendre un moment avant de pouvoir transmettre le moindre message complexe.

— En effet, intervint Honor. Mais nous nous proposons de programmer les ordinateurs embarqués pour répondre aux paramètres de danger les plus probables grâce à de simples codes de trois ou quatre impulsions. Ils identifieront la nature de la menace et son approche en moins d'une minute. Les drones pourront ensuite envoyer des messages plus détaillés, dès que nous aurons commencé à leur répondre.

— Je vois, fit Matthews avec un bref mouvement de tête. Et avec ce genre d'avertisseur, nous pouvons nous positionner de façon à les intercepter a avant qu'ils parviennent à portée d'attaque optimale de la planète.

— Tout à fait. » Honor eut un signe de tête à son adresse avant de se tourner vers l'amiral Garret. « Et mieux encore, amiral, nous aurons le temps de déterminer un vecteur d'interception qui nous permettra de rester à leur hauteur au lieu de nous retrouver avec une vélocité de base si faible qu'elle ne nous autoriserait qu'une fenêtre d'affrontement limitée avant de nous faire semer.

— je comprends, capitaine. » Garret se mordilla la lèvre puis il hocha la tête. « Je comprends », répéta-t-il. Il n'y avait pas la moindre trace d'aigreur dans sa voix et Honor en fut soulagée. « Si je m'étais rendu compte que vous aviez cette capacité, j'aurais approché ce problème d'une manière complètement »

Il s'arrêta et se fendit d'un sourire forcé. « Évidemment, si je m'étais donné la peine de vous poser la question, je l'aurais su plus tôt, n'est-ce pas ? »

La stupéfaction se lisait sur le visage de plus d'un Graysonien, comme s'ils ne pouvaient pas vraiment croire ce qu'ils venaient d'entendre. Honor se demandait comment elle devait répondre, mais il haussa les épaules et sourit plus naturellement.

« Eh bien, capitaine, on dit qu'il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Les Manticoriens utilisent-ils cette expression eux aussi ?

– Pas en parlant des hauts gradés, monsieur », répondit Honor, hésitante. Garret la surprit en éclatant de rire. On aurait dit un cheval en train de hennir, mais sa sincérité ne faisait aucun doute. Le doigt pointé vers elle, il n'arrivait pas à parler malgré ses efforts. Elle sentit un sourire asymétrique se dessiner en retour sur ses propres lèvres.

« Très juste, capitaine, arriva-t-il enfin à placer, amenant de nouveaux sourires sur les visages des Graysoniens. Très juste en effet ! » Il se cala dans sa chaise. « Avez-vous d'autres idées, capitaine Harrington ?

– Eh bien, comme vous le savez, nous avons évacué nos personnels civils à bord de nos transporteurs. » Garret eut un signe de tête affirmatif et Honor haussa les épaules. « Le rapport du capitaine Truman comprenait une demande de renforts prioritaire. Je suis sûre que cette demande sera satisfaite mais ces navires sont lents, amiral. J'aurais préféré envoyer l'un de mes navires de guerre, toutefois je ne peux pas me passer de l'Apollon si nous devons faire face à deux croiseurs modernes, et l'avarie du Troubadour le limite à une propulsion par impulseur. Qui plus est, privé de ses voiles Warshawski, il ne pourrait pas dépasser les bandes gamma. Si on pouvait envoyer l'un de vos vaisseaux hypercapables... »

Elle s'arrêta car Garret et Matthews faisaient tous les deux non de la tête. Matthews jeta un coup d'œil à son supérieur, qui lui fit signe d'expliquer leur position.

« Nous pouvons le faire, capitaine, mais notre technologie d'hyper voyage est beaucoup moins avancée que la vôtre. Nos bâtiments sont limités aux bandes gamma et nos voiles Warshawski ne nous permettent pas d'obtenir une accélération comparable à la vôtre. Je doute que nous puissions gagner plus d'une journée sur le temps de voyage de vos transporteurs. Dans ces conditions, je pense que ces navires seront mieux employés à détourner de vous ce qui reste de la flotte masadienne pendant que vous vous occuperez des Havriens. »

Honor se tourna vers Truman et McKeon. Truman eut un petit signe de tête; quant à McKeon, il se contenta de hausser les épaules. Ni l'un ni l'autre ne s'était rendu compte que l'hyper capacité de Grayson était si limitée, mais Matthews avait raison.

Le peu de temps gagné serait beaucoup moins utile que le soutien d'un vaisseau de guerre supplémentaire : les Masadiens n'attendraient sans doute plus que quelques heures avant d'attaquer.

« Je crois que vous avez raison, amiral Matthews, acquiesçai-elle. Dans ce cas, je crains que nous ne puissions rien faire d'autre que préparer nos unités mobiles à agir et déployer les drones. A moins que... »

Quelqu'un frappa à la porte de la salle de conférence puis l'ouvrit, laissant entrer le cliquetis des imprimantes. Honor haussa les sourcils. Le nouveau venu était un homme carré aux cheveux blancs, vêtu de l'uniforme de général de la Sécurité : ce n'était pas un officier de la flotte.

« Conseiller Clinkscales ! » s'exclama Garret. Ses hommes et lui se levèrent promptement, imités par les Manticoriens. « Que puis-je pour vous, général ?

— Désolé de vous interrompre, messieurs... dames. »

Clinkscales s'arrêta pour examiner Honor et Alice Truman de ses vieux yeux féroces, le regard curieux et franc maïs circonspect. « Capitaine Harrington. » Elle prit la main qu'il lui tendait et il serra fort la sienne, comme s'il avait décidé de ne pas s'inquiéter de sa fragilité de femme.

« Conseiller Clinkscales », murmura-t-elle en serrant sa main avec la même force. Le général esquissa un sourire glacial.

« Je voulais vous remercier, dit-il brusquement. Grayson vous est extrêmement redevable, et moi de même. » Il était visiblement gêné d'avoir à le dire, mais aussi déterminé à prendre sur lui.

« Je me trouvais là, c'est tout. Et puis c'est Nimitz qui a fait l'essentiel. S'il n'avait pas réagi aussi vite... » Elle haussa les épaules.

« C'est vrai. » Clinkscales éclata de rire, « Je me demande s'il serait prêt à rejoindre les rangs des gardes du palais ?

— je crains que non, monsieur. » Honor sourit et elle se rendit compte que seul Clinkscales, de tous les gens qu'elle avait rencontrés depuis l'attentat, n'avait pas l'air embarrassé par l'état de son visage. Apparemment, une fois qu'il avait décidé qu'on était un véritable officier, il s'attendait à ce que l'on porte ses blessures de guerre comme lui-même l'aurait fait. Honor se surprit à apprécier ce vieux dinosaure.

« Dommage, fit-il avant de se tourner vers Garret. Comme je le disais, je suis désolé de vous interrompre mais mes hommes ont arrêté l'un des pilotes des vaisseaux maccabéens et il chante comme un pinson.

— Ah oui ? » Le regard de Garret s'aiguisa. Honor elle aussi était très intéressée.

« En effet. Il ne sait que dal... » Clinkscales s'arrêta et jeta un œil à Honor et Truman. Honor se força à ne pas sourire.

« Il ne sait rien sur la classe des vaisseaux havriens, se corrigea le conseiller, en revanche il sait que Masada dispose d'une base avancée dans notre système.

— À Yeltsin ? » Garret avait l'air choqué et Clinkscales eut un signe d'impuissance.

« C'est ce qu'il dit. Il ne l'a jamais vue, et d'après ceux de ses amis qui ont eu cette chance, elle n'a pas été simple à construire. Mais il sait où elle se trouve ; de plus, il prétend que leur "plus gros vaisseau", quel qu'il soit, pourrait bien être à Endicott en ce moment.

— Vraiment ? Honor se pencha vers lui. A-t-il dit pourquoi ?

— Quelque chose sur le remorquage de leurs BAL, jusqu'ici », répondit Clinkscales. Honor ouvrit grand son œil valide, étonnée. Elle n'avait jamais entendu parler d'une telle opération ! Ce qui ne voulait pas dire qu'elle était impossible. Et puis cela expliquait comment ils les avaient amenés à Yeltsin. Mais s'ils disposaient de bâtiments modernes, pourquoi perdre du temps à remorquer des unités aussi limitées que les BAL masadiens ?

« Il est sûr que le vaisseau amiral est parti ? demanda-t-elle, laissant de côté les questions. Et sait-il quand il doit revenir ?

— Il sait qu'il devait partir. Il ne sait pas s'il est encore à Endicott mais je me dis que son absence pourrait expliquer pourquoi ils n'ont pas encore attaqué. Et si c'est le cas, le fait qu'ils n'aient toujours pas agi signifie peut-être que le vaisseau havrien n'est pas encore revenu.

— Possible », murmura-t-elle. Elle jeta un regard à Truman et McKeon. « D'un autre côté, nous sommes de retour depuis presque vingt-six heures. Même s'il était parti avant notre arrivée, ce navire devrait être revenu maintenant. À moins que... » Elle frotta le côté engourdi de son visage puis se tourna vers Truman. « Vous avez une idée du temps que peut leur prendre le transit en remorquant des BAL, Alice ?

— Je ne crois pas qu'il y ait moyen de le savoir sans essayer nous-mêmes. Personne n'a jamais fait ça, pour autant que je sache. D'ailleurs, je ne crois pas que cela aurait été possible si Yeltsin et Endicott avaient été plus éloignés. Quant à leur vitesse de transit, ils doivent sans doute faire attention, mais à quel point... » Truman haussa les épaules.

« Ça dépend surtout du bâtiment qu'ils utilisent, pacha, intervint McKeon. je pense que le rapport de masse est critique. Et puis ils doivent se servir d'un vaisseau qui dispose d'une capacité de traction assez grande pour englober un BAL tout entier. »

Honor acquiesça tout en continuant à frotter sa joue blessée, puis elle haussa les épaules. « De toute façon, le simple fait de savoir où les trouver serait un avantage énorme. En supposant que l'information soit fiable. »

Elle se tourna vers Clinkscales et aperçut un reflet dur, presque effrayant, dans les yeux du chef de la Sécurité.

« Oh, elle est fiable, capitaine, lui assura-t-il d'un ton menaçant. Ils ont installé une base sur Merle – une des lunes d'Uriel », ajouta-t-il à l'adresse d'Honor, qui hocha la tête. C'était logique. Uriel (Yeltsin VI) était une boule de gaz géante, plus grande que le Jupiter de Sol, au rayon orbital approchant les cinquante et une minutes-lumière, soit largement plus que la portée de n'importe quel capteur graysonien.

« De quel genre d'installations disposent-ils ? » demanda brusquement l'amiral Matthews. Clinkscales eut un geste d'ignorance.

« Ça, je ne le sais pas, amiral, et lui non plus. Pas en détail. » Le conseiller sortit une antique cassette audio. « J'ai amené tout ce qu'il a su nous dire, pour que vos hommes se fassent une opinion plus précise. Tout ce dont il est sûr c'est que "Maccabée"... (le vieux général refusait de prononcer le nom de Jared Mayhew) a détourné certains de nos propres navires de construction dotés d'équipages maccabéens pour aider à la bâtir. Malheureusement, son vaisseau n'était pas du nombre, mais il a entendu un autre capitaine dire qu'ils avaient installé des capteurs modernes. Ils pourraient bien également disposer de quelques armes lourdes en provenance de Havre, mais il ne saurait en jurer.

— Mon Dieu, marmonna un Graysonien tandis que le visage d'Honor se raidissait.

— Je ne crois pas qu'ils aient pu transformer Merle en véritable forteresse, fit vivement Matthews. Pas sans la capacité de générer une bulle protectrice autour d'une lune qui mesure huit mille kilomètres de diamètre. » Il lança un regard à Honor, qui secoua la tête.

« Non, amiral. Même Manticore ne fait pas encore ce genre de miracles, dit-elle sèchement.

— Alors tout ce dont ils disposent était sans doute conçu pour nous arrêter. Ils n'ont sûrement pas installé de plates-formes orbitales. Ils ont pris un risque en construisant une base du côté lunaire parce que nous nous livrons régulièrement à des exercices dans la région. Maccabée... (comme Clinkscales, Matthews se refusait à employer le nom de Mayhew) avait accès à nos programmes, donc il pouvait leur dire quand se faire discrets, mais ils n'auraient pas pu nous cacher des installations orbitales. »

Honor acquiesça, suivant son raisonnement.

« Et des défenses fixes seraient beaucoup plus vulnérables que mes vaisseaux. » Elle avait parlé vite et son élocution s'en ressentait mais nul ne parut le remarquer.

« Exactement. Et s'il y a une chance que le gros de leur puissance de feu havrienne soit ailleurs... »

Honor regarda Matthews un instant et se rendit compte qu'elle se frottait le visage beaucoup plus énergiquement. Elle se força à arrêter avant d'abîmer encore plus sa peau insensible, puis elle hocha la tête d'un air décidé.

« Tout à fait, amiral. Quand vos unités peuvent-elles être opérationnelles ? »

Pour L'Honneur de la Reine
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